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Les Cahiers de l'ACME

Festival « Les Musiques » à Marseille du vendredi 12 au samedi 20 mai

8 Mai 2006, 08:35am

Publié par Vinciane Baudoux

Cette année encore, le festival « Les Musiques », qui aura lieu à Marseille du vendredi 12 au samedi 20 mai, propose une programmation variée, avec des œuvres allant de l’instrumentation « classique » à l’installation multimédia, en passant par la danse et les œuvres mixtes.

Les Musiques, ce sont vingt évènements, neuf créations, trente compositeurs, une quarantaine d’œuvres, dix ensembles et compagnies invités, et plus de cent-vingt interprètes, que l’on retrouvera dans sept lieux de Marseille bien connus des habitués des Musiques, comme la Friche la Belle de Mai, la Minoterie Théâtre de la Joliette, la chapelle Sainte-Catherine, …

Raphaël de Vivo, directeur du GMEM (Centre national de création musicale) et directeur artistique des Musiques, nous propose quelques pistes pour nous retrouver dans ce programme foisonnant. Il voit son festival comme « …une villégiature musicale dans les formes classiques, innovantes, expérimentales voire métissées, que prend la musique d’aujourd’hui. »

Certains thèmes se dessinent : le voyage, imaginaire ou réel ; le passage du temps : temps musical, temps de la vie et de la mort, temps du festival…

La voix et la problématique de son utilisation tracent le fil rouge du festival : voix parlée, voix chantée, voix transformée par des dispositifs de traitement en temps réel, … voir les différentes « voies » prises par la programmation des Musiques ! La voix, « instrument » humain, amène à s’intéresser au corps tout entier et donc au geste : le geste musical de l’instrumentiste, le geste dansé et chorégraphié, le geste déclencheur d’appareillages électroniques…

Le lien est ainsi créé avec le dernier aspect du festival, mais non le moindre : l’apport des technologies de pointe à l’art en général, aux musiques en particulier.

Pour leur ouverture, qui ont eu lieu le 21 avril, les Musiques ont présenté en création mondiale mAINTENANT, un travail du compositeur Nicolas Frize. En parallèle avec un travail radiophonique pour Radio Grenouille, il a tenté de construire un « centre de distribution des sons », le son faisant selon lui partie du patrimoine « public ».

Si vous avez raté cette ouverture anticipée, ne vous désolez pas ! Il vous reste largement de quoi désensabler vos portugaises…

Le vendredi 12 mai, Fatal Plumage, de Roland Auzet, inspiré des Métamorphoses d’Ovide, abordera le terme de la transformation. La construction de cette œuvre mixte pour trois sopranos, quatre percussionnistes, dispositif de traitement électronique en temps réel  et dispositif vidéo est autant spatiale qu’acoustique, avec un dispositif de haut-parleurs entourant le public.

Né en 1964, Roland Auzet a étudié la composition avec Georges Bœuf. Il a travaillé avec l’ensemble 2e2m et avec l’IRCAM. Le turc Sinan Bokesoy officie quant à lui au dispositif de traitement des sons. Ce concert sera également l’occasion de réentendre les talentueux percussionnistes du CIP (Centre international de percussions de Genève). 

Le samedi 13 mai à 17 h, outre deux pièces de Philippe Leroux, un compositeur qui est mis en honneur cette année avec la diffusion de quatre de ses œuvres, on entendra Erinerung an einen Winterabend de Gyoörgy Kurtag, ainsi que le Requiem furtif de Georges Aperghis.

Le plat de résistance de cette soirée sera la création mondiale de River and land, du Danois Michael Nyvang, pour cymbalum, percussions et source sonore, une œuvre qui, comme celle de Kurtag, met le cymbalum à l’honneur ; une belle occasion pour la percussionniste Françoise Rivalland de déployer sa virtuosité sur cet instrument.

A 19 h 30, c’est au tour de la Belge Cindy Van Acker de déployer son talent de chorégraphe. Fractie est composée de cinq études qui explorent les résonances entre le son, le mouvement et le rythme. Chacun des cinq modules possède sa propre bande son, due au talent de cinq compositeurs : le Belge Frederique Franke, le Bâlois David Stampfli, qui a étudié les arts visuels et la musique électroacoustique à Bruxelles, et trois autres Suisses, Philip May, Basile Zimmermann et Andrea Valvini. Cette équipe se distingue par son jeune âge : aucun d’eux n’est né avant 1970 !

La soirée finira en beauté avec, à 21h, le Nouvel Ensemble Moderne (NEM) sous la direction de sa fondatrice Lorraine Vailancourt. Après Quaderno di Strada, de Salvatore Sciarrino, on entendra deux autres œuvres de Philippe Leroux, M.É, œuvre électroacoustique, et Pour, en création mondiale, œuvre mixte pour ensemble instrumental, chœur et dispositif électroacoustique.

Né en 1959 à Boulogne sur Seine, Philippe Leroux entre au Conservatoire de Paris en 1978 dans la classe d'Ivo Malec, Claude Ballif, Pierre Schaeffer et Guy Reibel, où il obtient trois premiers prix. Il étudie également avec Olivier Messiaen, Franco Donatoni, Betsy Jolas, Jean-Claude Eloy et Iannis Xenakis. Sa musique, influencée par la conception schaefferienne du son, mais aussi par les apports de l'école spectrale, est portée par l'idée de mouvement. 

Le dimanche 14 mai à 18 h 30, on pourra voir et entendre en création mondiale l’Arbalète magique, de Ton Thât Tiêt, un conte vietnamien pour neuf chanteurs, percussions, harpe, flûte et alto. Inspirée d'une légende vietnamienne, cette œuvre sera interprétée par l'ensemble vocal et instrumental Musicatreize, qui aborde le baroque ou le « contemporain » avec le même bonheur.

Originaire du Viêt-Nam, Ton Thât Tiêt se rend en France pour approfondir l’écriture musicale. Il travaille au Conservatoire de Paris avec Jean Rivier, puis André Jolivet, avant de revenir aux musiques orientales. Il veut jeter un pont entre tradition et nouveauté, entre l’opéra « à l’occidentale », le « drame dansé » d'Okinawa, du Japon, et le « Chéo », le théâtre musical traditionnel du Viêt-Nam. 

Le lundi 15 mai, c’est à nouveau la danse qui sera à l’honneur, avec une chorégraphie d’Isabelle Van Grimde, Vortex, sur Vortex Temporum, la musique éponyme de Gérard Grisey, talentueux compositeur français prématurément décédé en 1998 à l’âge de 52 ans. Gérard Grisey a entre autres été formé par Olivier Messiaen et Henri Dutilleux pour la composition, et par Jean-Etienne Marie pour l’électroacoustique. A propos de cette oeuvre, Gérard Grisey disait : « Vortex Temporum n'est peut-être que l'histoire d'un arpège dans l'espace et dans le temps, en deçà et au-delà de notre fenêtre auditive, et que ma mémoire a laissé tourbillonner au gré des mois dévolus à l'écriture de cette pièce. »

Quant à la chorégraphie, elle propose un travail de réflexion sur le corps : sa fragilité, sa force, ses dimensions inconnues, lumineuses ou obscures. 

Le mardi 16 mai verra la création mondiale de Légendes, de Laurent Martin, pour violon solo, ensemble instrumental et vocal et dispositif électroacoustique, avec Alexis Galpérine au violon, le Chœur et les Solistes de Lyon, et l’ensemble 2e2m sous la direction de Pierre Roullier. Laurent Martin : « Dans la tradition moderne, l'écriture ornementale a longtemps été considérée avec condescendance. C'est l'origine même du concerto que de jouer de cette opposition entre le soliste individualiste, joueur et capricieux et ce qui le tient en laisse : le corps structuré, écrit et donc policé du collectif qui l'accompagne. »

Sans négliger le répertoire existant, l'ensemble 2e2m a créé plus de six cents partitions et révélé au public des compositeurs considérés aujourd'hui comme essentiels (Brian Ferneyhough, Luis de Pablo, Franco Donatoni, Pascal Dusapin, …).

Avec l’ensemble vocal « Les Solistes de Lyon », Bernard Tétu fait lui aussi un travail de recherche (créations, redécouvertes de pages musicales méconnues,...).

Le mercredi 17 mai de 17 h à 20 h 30, vous aurez l’occasion d’assister à la création mondiale d’Une ultime flambée, pour récitante, musique électroacoustique et artiste de cirque, de Patrick Portella. Compositeur associé du GMEM, Patrick Portella contribue au début des années 1980 à l'émergence du mouvement postmoderne. Il est un habitué des Musiques de Marseille.

Une ultime flambée, c’est une veillée funéraire sans morbidité qui se déroule sur trois heures et demie… Le public est accueilli toutes les demi-heures. Sons et ambiances enregistrés à Bénarès ont été retravaillés en studio. La présence corporelle et la musique induisent l'action dramatique, dans une grande proximité avec le public.

Le mercredi 17 mai à 21 h, les aficionados de dispositifs multimédia ne doivent sous aucun prétexte manquer l’audacieuse Rencontre virtuelle sur la route de la Soie, de Christine Coulange et Nchan Manoyan, du duo Sisygambis, une « performance live de sampling musical et visuel ».

Dans un espace composé d'images projetées sur quatre écrans et de sons musicaux diffusés sur un cercle de haut-parleurs, les cinéastes-musiciens jouent au centre. Le public se déplace et détermine, par sa position, son champ de vision et d'écoute.

A partir des prises de vues et de sons réalisées lors d'une expédition de six mois sur la Route de la Soie, reliant Marseille à Shangaï par voie terrestre, Christine Coulange et Nchan Manoyan ont enregistré des sons, des images, des visages, des présences, des ambiances… Au retour, dans la solitude du studio, ils ont fait du souvenir de ces impressions visuelles et sonores une composition au présent.

Le jeudi 18 mai à 20 h se déploiera le premier volet d’un diptyque instrumental, La solitude de…, consacré au violoncelle et au piano en tant qu’instruments de récital.

Lors de ce premier volet, le jeune et talentueux violoncelliste Alexis Descharmes, né en 1977, nous fera survoler en une soirée près de trois siècles d’histoire de la musique pour violoncelle, puisqu’il interprètera successivement la Suite BWV 1011 (1720) de Jean-Sébastien Bach, la Sonate opus 8 (1915) de Zoltan Kodaly, Spins and spells (1996) de Kaija Saariaho - compositrice finnoise largement mise à l’honneur lors de l’édition précédente des Musiques - , et enfin, Ay, there’s the rub (2001), de l’Italien Marco Stroppa.

Le jeudi 18 mai à 21h aura lieu la création mondiale de Rain Behind Eyes, œuvre mixte pour quintet et diffusion sonore du compositeur Michael Nick, qui sera à la direction et au violon, avec Gino Bollaert à la création et à la diffusion sonore). Les cinq musiciens sont sur scène et le pilote son, le « sixième musicien », parmi les auditeurs. Relais entre les musiciens et le public, il dialogue avec les musiciens sur scène, joue de toute une palette de matières, couleurs, ambiances.

Le vendredi 19 mai à 19 h se déploiera le second volet du diptyque La solitude de…, consacré cette fois au piano, avec une intégrale de l’œuvre que Schönberg écrivit pour cet instrument. Le voyage ne couvre cette fois « que » vingt-deux ans d’histoire de la musique pour piano, mais ce furent des années décisives, comme nous le rappelle Glenn Gould: « …les Pièces pour piano de l’Opus 11 (1909) furent la première œuvre complètement atonale … l’Opus 25 (1923), quant à lui, fut la première complètement dodécaphonique … ». Le pianiste Michel Gaechter, qui est né à Mulhouse et a fait ses études au C.N.S.M. de Paris, est un « habitué » de la musique pour piano de Schoenberg, qu’il a enregistrée en intégrale en 1999. Mis en opposition, les deux volets de La solitude de… se répondent d’autant mieux que Schoenberg était… violoniste et violoncelliste (alors que Bach était un virtuose du clavier) !

Le même soir à 21h aura lieu ce que l’on peut sans conteste déjà considérer comme un point fort du festival, à savoir la création mondiale du Flâneur, « opéra électronique » de Jean-Louis Clot sur un livret de l’écrivaine Tiphaine Samoyault, pour récitant, trois chanteurs,  « chœur » sur support, et dispositif électroacoustique. Le thème du flâneur, qui provient d’un roman d'Edgar A. Poe, l'Homme des foules, se trouve relayé au fil de l'écriture du livret par les poésies et l'imaginaire de plusieurs grands écrivains du XXe siècle, et les voix d'hommes, de femmes, de migrants venant de Russie, d'Allemagne, d'Italie, d'Arabie… La partition intègre les voix aux sons électroniques. La démarche de Clot est d’autant plus intéressante qu’elle s’inscrit dans un processus de remise en question de l’opéra qui s’est entamé au début du siècle passé. Après le Wozzeck (1er opéra atonal) et la Lulu (1er opéra sériel) d’Alban Berg, après l’Einstein on the Beach (1er opéra sans intrigue) de Philippe Glass, Clot nous propose un opéra sans orchestre : « Le système de spatialisation du son Holophon permet de tendre vers un parfait équilibre de tous les plans. En l’absence d’instruments acoustiques, s’opère un travail "d’orchestration électronique", riche d’inouï et d’innovations ». A suivre, donc. 

En réponse au diptyque RécitalLa solitude de…, le samedi 20 mai à 18 h 30 aura lieu le Récital… le Dialogue…entre Marie-Josèphe Jude au piano et Florent Jodelet aux percussions. Ils interpréteront tout d’abord Accents dessus, ..., dessous, du flou, du flux,…, des axes pour piano et percussions de Jean-Marc Singier, poursuivront par  une « Correspondance » entre les Préludes pour piano de Debussy et les Pièces pour timbales d’Elliot Carter et termineront avec le Tombeau, de Philippe Hurel, une  pièce pour piano et percussions à la mémoire de Gérard Grisey.

Implicites dans Solitude de…, dans Dialogue…, les correspondances se veulent explicites : correspondances entre le piano et les percussions, entre les pièces de Debussy et de Carter, entre le Vortex temporum de Grisey et le Tombeau d’Hurel… Une belle soirée en perspective.

Enfin, le samedi 20 mai à 21 h, c’est une dernière création mondiale mixte, KlangKörper (« corps de résonance »), qui clôturera en beauté cette édition 2006 des Musiques. Cette œuvre est une collaboration originale entre des danseurs d’une part (Sigal Zouk-Harder, Kotomi Nishiwaki, Grayson Millwood, Mathieu Burner, Elena Alonso, Clémentine Deluy et Frank James Willens des compagnies Sasha Waltz et Meg Stuart), et, de l’autre, les solistes de l’ensemble Zeitkratzer (Littéralement : « gratte-temps »), dirigé par le pianiste Reinhold Friedl, avec Marc Weiser à l’électronique. Le travail réalisé par les sept danseurs pour la performance KlangKörper se situera en symbiose avec les musiciens de Zeitkratzer, habitués à travailler avec des chorégraphes, pour explorer la relation des corps dansants et des sons. 

 

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