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Les Cahiers de l'ACME

Le compositeur György Ligeti a rejoint le grand Monolithe noir ce lundi 12 juin 2006 à Vienne (Autriche)

13 Juin 2006, 15:43pm

Publié par Vinciane Baudoux

György LigetiLe compositeur contemporain austro-hongrois György Ligeti est décédé le 12 juin 2006 à Vienne (Autriche) à l’âge de 83 ans, des suites d’une longue maladie.
György Ligeti est né le 28 mai 1923 dans une famille juive hongroise issue de la petite localité de Dicsószentmárton (ancienne Transylvanie), aujourd’hui Tîrnaveni, en Roumanie. Il compose ses premières pièces dès l’âge de dix ans et étudie le piano et l’orgue à partir de treize ans. Il étudiera ensuite la composition à l’Académie Franz-Liszt de Budapest.
Durant son enfance et sa jeunesse, il est pris dans la tourmente du siècle : son père et son frère sont assassinés par les Nazis, puis en 1956, il est forcé de quitter la Hongrie et de se réfugier en Autriche pour fuir la répression communiste. Ces vicissitudes marqueront profondément sa personnalité et son œuvre, empreinte à la fois d’une grande sérénité et d’une profonde angoisse.
Ligeti part en Allemagne, où il s'initie aux techniques de composition de la musique sérielle… qu’il n’adopte pas. Il travaille ensuite avec Karlheinz Stockhausen au studio de
musique électronique de la radio de Cologne, la WDR, un studio « mythique » fondé en 1952, par lequel sont passés certains des plus grands compositeurs de la seconde moitié du XXe siècle : Pierre Boulez, Luciano Berio, Mauricio Kagel, Luc Ferarri impossible de les citer tous !
Pochette de l'enregistrement d'Artikulation de LigetiLà, Ligeti réalise les trois seules pièces électroacoustiques de son œuvre : Glissandi (1957), Artikulation (1958), et Pièce électronique n° 3 (1958, inachevée). Sa recherche l'amène à contrôler la nature de la continuité du son en modifiant leur seuil d’estompage par un travail opposé : la discontinuité d’éléments particuliers et superposés en couches. La rapidité du déroulement de la bande donne l’impression obtenue d’une continuité.
Ligeti quitte Cologne et repart pour Vienne, déçu par le côté féodal du cadre de travail, et par ce qu’il considère comme les limites de l'écriture électronique. S’il considère ses œuvres électroacoustiques comme des échecs - sauf Artikulation -, le travail réalisé lui a permis de trouver sa voie : la micropolyphonie, une technique d’écriture contrapuntique très serrée, avec un très grand nombre de voix et des intervalles très étroits ; la division infinitésimale des parties instrumentales ou vocales est destinée à une perception globale plutôt qu’analytique : les voix deviennent indiscernables et constituent une sorte de « texture » continue. Plus tard, cette technique compositionelle influencera fortement l’Ecole spectrale.Ligeti est fasciné par une musique statique, mais qui évolue imperceptiblement ; il a d’ailleurs travaillé un temps avec le minimaliste Steve Reich, qui a fait le même type de recherches sur le rythme et les processus continus.
Ligeti enseigna également ; il fut notamment Professeur invité de l’Université de Stockholm des années durant. Il parlait au moins six langues, dont l’allemand, le français et l’anglais.L’œuvre de Ligeti fut récompensée par de nombreux prix prestigieux (Prix Sibelius en 2000 ; Prix de la musique de Francfort (Allemagne) en 2005, pour ne citer que les plus récents). Parmi ses compositions les plus marquantes, mentionnons, outre les œuvres électroacoustiques déjà citées : Atmosphères  (1961), pièce empreinte d'influence bartókienne, qui continue à explorer les registres de la micropolyphonie, et dont la première fut un tel succès qu’il fallut la réitérer ; Volumina pour orgue (1962) ; Lux Aeterna pour choeur (1967) ; Continuum pour clavecin(1968) ; les trois volumes d’Études pour piano, composés entre 1985 et 2001, un monument de la littérature pianistique du XXe siècle, point de passage obligé pour tout pianiste désireux d’aborder le répertoire contemporain. Ligeti explora également le théâtre musical, traditionnellement bien implanté en Allemagne, et renoua avec l'opéra (Le Grand Macabre, 1974-1977).
2001, Odyssée de l'espace - le Monolithe noirMais s’il aborda avec bonheur et talent toutes les facettes de la musique contemporaine « savante », c’est la reprise de certaines de ses pièces (dont Atmosphère et Lux Aeterna) pour son film 2001, Odyssée de l’espace (1968) par Stanley Kubrick qui le rendit mondialement célèbre : une preuve de plus que la musique contemporaine est accessible même à un public « profane », pour peu qu’elle sache s’abstraire d’un intellectualisme froid et desséché, et s’adresser à notre ressenti profond.

Saluons un grand Monsieur de la musique contemporaine, qui sut nous faire vibrer des décennies durant.
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