Béjart est parti « faire danser les étoiles »

Sa première apparition sur scène a lieu en 1945 dans sa ville natale.
En Suède, il découvre l’expressionnisme chorégraphique et l’oeuvre musicale d’Igor Stravinski. En 1952, il signe d’ailleurs sa première chorégraphie - dont il est également le principal interprète - sur la musique de « L’oiseau de feu » du compositeur russe, pour un film suédois éponyme.

Béjart estimait avoir réalisé son premier grand spectacle chorégraphique en 1955 à Paris avec la « Symphonie pour un homme seul », sur une musique électroacoustique coécrite par Pierre Henry et Pierre Schaeffer.
Ecoutons Schaeffer s’exprimer à propos de la « Symphonie » : « Comment répondre à la clameur des foules ? Par des violons ? par des hautbois? Et quel orchestre peut se vanter d’équilibrer cet autre cri que l'homme dans sa solitude n'arrive pas à pousser ? Renonçons aux accents du violoncelle, trop lâches pour l'homme d’à présent, son épopée quotidienne et son angoisse collective. Des pas, des voix, des bruits familiers suffiront. Des pas le pressent, des voix le traversent qui font l'amour ou la guerre, le sifflement des bombes ou un air de chanson. Que le danseur moderne, sans costume ni décor, soit sans tambour ni trompette. Au rythme de son propre cœur, s'il est sincère, sa danse sera plus vraie. »
Œuvre pionnière tant au plan chorégraphique que musical, la « Symphonie pour un homme seul » rompt définitivement avec le ballet traditionnel ; Béjart considérait que le tutu était « pornographique » et rêvait de populariser la danse classique, ce en quoi il réussit parfaitement.

Avec le critique Jacques Laurent, Béjart avait fondé en 1954 les Ballets de l’Etoile à Paris. Mais il n’est pas satisfait de la vie qu’il mène en France et le tournant de sa carrière sera sa nomination à la direction de la danse au Théâtre royal de la Monnaie (TRM) à Bruxelles (Belgique), où il crée son fameux Ballet du XXe siècle.
A Bruxelles, Béjart bénéficie d’une liberté et de moyens qu’il n’avait pas à Paris ; ceci, ajouté au fait qu’il restera 27 ans au TRM, explique qu’il ait créé la majeure partie de ses quelques 200 chorégraphies (!) en Belgique.
En 1987, suite à un désaccord avec Gérard Mortier, alors directeur du TRM, il quittera finalement son pays d’adoption pour la Suisse et les Ballets de Lausanne, qui lui offraient de meilleures conditions de travail et financières ; sa troupe, qu’il emmène avec lui, prend dès lors le nom de « Béjart Ballet Lausanne ».
Il terminera sa vie à Lausanne, y travaillant encore jusqu’à quelques jours avant son décès. Les trente-cinq danseurs de sa troupe répètent en effet actuellement son tout dernier spectacle, intitulé « Le Tour du monde en 80 minutes », dont la première est prévue le 20 décembre 2007 à Lausanne, avant une tournée mondiale.
Outre la musique classique (Beethoven), les derniers bastions de la musique tonale (Stravinski et Wagner) ou la musique concrète et électroacoustique (Henry et Schaeffer), Béjart puisera aux sources de nombreux courants musicaux pour y abreuver son œuvre : jazz (Duke Ellington), « musiques du monde » - mexicaine et hindoue notamment - bien avant l’invention de ce terme par Peter Gabriel, rock (Queen).
Il aura même l’audace de s’attaquer à ce monument de la musique classique qu’est la 9e Symphonie de Beethoven, dans une chorégraphie mettant en scène des danseurs de 29 nationalités, s’attachant ainsi à exprimer par la danse la métaphore de paix et de fraternité humaine contenue musicalement dans l’« Hymne à la joie », dont les instances européennes décidèrent bien des années plus tard de faire l’hymne officiel de l’Union européenne !
Mais Béjart, s’il révolutionna de fond en comble la danse du XXe siècle, connut aussi ses détracteurs. Ainsi, après avoir été accusé de plagier les nouveaux chorégraphes américains (Merce Cunningham p. ex.), il se verra reprocher ses innovations et son traitement « iconoclaste » de certaines oeuvres classiques, comme les Contes d’Hoffmann d’Offenbach (1962), ce qui lui vaudra même d’être arrêté, menotté et expulsé du Portugal en 1968 !
Tout grand créateur doit tôt ou tard faire face au problème de la transmission, et là aussi, Béjart fut innovant.
Ainsi, l’école de danse Mudra, qu’il fonda à Bruxelles en 1970, forma de danseurs et des chorégraphes dont certains connurent à leur tour la célébrité, comme les Belges Anna-Teresa De Keersmaeker, Michèle Noiret ou Michèle-Anne De Mey (la sœur du compositeur Thierry De Mey). A Mudra, outre la danse, les élèves s’initiaient également au chant, au solfège et au théâtre, ce qui paraît aujourd’hui aller de soi, mais c’était loin d’être le cas à l’époque. L'école ferma malheureusement en 1987 lors du départ de Béjart en Suisse.
« Un chorégraphe n’est pas le maître de la danse mais son premier serviteur », déclarera Béjart en 1995 dans son discours d'entrée à l’Académie des Beaux-Arts, mettant ainsi le chorégraphe dans un rapport à la danse comparable à celui du chef d’orchestre dans la musique : en effet, que serait celui-ci sans le compositeur et sans les musiciens de l’orchestre ?
Personnalité mystique, Béjart, après s’être tourné un moment vers le bouddhisme, s’était converti à l’islam soufi, qu’il avait découvert en Iran en 1973.
Quinze jours avant sa disparition, il faisait part dans une lettre de ses dernières volontés à son ami l’écrivain belge Michel Robert, à qui il confiait qu’il voulait prendre la nationalité belge, et qu’il souhaitait que ses cendres soient dispersées sur la plage d’Ostende, en Belgique…
Maurice Béjart « est sans doute déjà en train de faire danser les étoiles », a déclaré de son côté son ancien danseur étoile Patrick Dupond. Il « va laisser une lumière indélébile. Son œuvre va perdurer à travers tous les danseurs et danseuses qu'il a fait travailler ».
Nous n’en doutons pas un instant. Et que la nuit, Maurice, soit toujours constellée d’étoiles…
Vinciane Baudoux.
Cliquez ici pour lire le texte intégral de la lettre envoyée par Maurice Béjart à l’écrivain belge Michel Robert quinze jours avant son décès.
Cliquez ici pour écouter Maurice Béjart dans « L’invité du dimanche » en 1970 sur TF1 (archives INA), une émission de télévision au cours de laquelle il expose en détails sa conception de la danse.